Harry Everett Smith, anthologiste et collectionneur folk américain
Si vous suivez l’émission, vous vous êtes fait rabattre les oreilles à de multiples reprises sur l’importance cruciale de l’« Anthology of American Folk » compilée par Harry Smith et parue sur Folkways en 1952.
Sinon, il est grand temps de vous l’apprendre si vous vous intéresser au folk, au old-time music, et au blues rural.
Étant donné l’importance de ce monument de l’histoire musicale, il est bon de replacer — question d’anecdote — ce bon Harry et Smith en contexte. Et d’aligner les mots sur votre écran qui raconteront la genèse de ce coffret bien gras de 4 CD (6 albums vinyles).
Harry Everett Smith. Collectionneur, cinéaste, énergumène. Speed Freak.
Harry Everett Smith (29 mai 1923 à Portland, Oregon – 27 novembre 1991 à New York) était un artiste visuel, cinéaste expérimental, collectionneur de disques, bohème, mystique et étudiant en anthropologie largement autodidacte.
Smith était une figure importante de la scène Beat Generation à New York, qui – par ses activités comme son utilisation de substances psychotropes et son intérêt pour la spiritualité ésotérique – anticipait des aspects du mouvement hippie.
Excentrique, pour ne pas dire un peu cinglé, Harry Smith collectionnait de façon obsessionnelle un tas d’objets souvent considérés par d’autres comme des déchets sans intérêt.
C’est pourquoi, aujourd’hui, il est possible de voir sa collection de figures en ficelles dans une galerie de Brooklyn ou sa collection d’œufs de Pâques ukrainiens séchés et peints dans un grand musée central européen. Dieu sait ce qui a pu advenir de sa vaste collection d’avions en papier (si, si) et de tissus autochtones.
En bon « hoarder », Smith a laissé derrière lui des dizaines de collections hétéroclites dans des chambres d’hôtel alors qu’il filait à l’anglaise de loyers impayés. Certaines d’entre elles ont été volées par vengeance par des voisins en colère de l’hôtel Chelsea qui, exaspérés par les longues nuits bruyantes d’Henry qui carburait au jazz et aux amphétamines, défonçaient ses quartiers à coups à coups de hache et — rentabilité oblige — s’emparaient de quelques trésors avant de disparaître à leur tour.
Smith était un artiste, un catalyseur, un créateur de films d’animation surréalistes (dont certains sont aujourd’hui des classiques cultes du cinéma du début des années 70 qui ont influencé Terry Gilliam). Né en 23 à Portland, dans l’Oregon, il a vécu quelque temps dans des réserves indiennes avec sa mère institutrice, où il affirme avoir reçu une initiation chamanique.
La passion du folklore et du Old-Time chez Smith
La passion d’Harry Smith pour la musique old-time date de sa rencontre avec « American Songbag », un recueil de chansons américaines folkloriques traditionnelles publié en 1927 par Carl Sandburg (en imitation de l’œuvre de Frances James Child en Angleterre).
Sa rencontre avec Alan Lomax, homme de terrain, et Pete Seeger dans les années 30 lui donnent la piqûre. Il se lancera, petite liste mimographiée basée sur le fonds créé par les deux hommes, à la recherche de nouvelles pièces en 78 tours complétant le portrait musical de cette Amérique mythique avec des 78 tours ramassés dans les ordures, les ventes d’églises, et ailleurs.
Folkways: origine douteuse, étiquette cruciale et premiers sillons creusés de l’Anthologie
Au cours des années 1950, lorsque son argent s’est épuisé, Harry a essayé de refourguer les meilleurs morceaux de la collection à Moses Asch, fondateur de l’étiquette Folkways. Asch propose plutôt une compilation grand public.
Moe, lui-même collectionneur (de disques populaires en yiddish), avait déjà une faillite sous le bras (Asch Records) et bien des créanciers à ses trousses. Folkways, incorporé au nom de son assistant Marian Distler, s’impose déjà comme le principal fond d’ethnomusicologie mondiale. L’offre de l’étiquette façonne également à sa manière le Folk Revival dès les années 40 et 50 en publiant l’album compagnon de l’étude country blues de Samuel Charter, The Country Blues, et des œuvres folkloriques phares comme « This Land Is Your Land » de Woody Guthrie et « Goodnight Irene » de Lead Belly.
L’Anthology of American Folk Music: entre Old-Time et occultisme
L’anthologie des meilleurs morceaux de Smith sera finalement publiée en trois volumes thématiques — Ballades, Musique sociale et Chansons.
Le quatrième volume initialement prévu, « Rhythmic, ne sera produit qu’en 2000 chez Mississippi Records.
Étrangement, les pochettes des volumes lancés au cours des années 50 sont réalisées à partir d’illustrations de Robert Fludd, un mystique du XVIe siècle, et les couleurs utilisées pour différencier les volumes s’appuie sur le code ésotérique (lire “énochien”) divagué par John Dee, un autre personnage douteux de l’époque élisabéthaine. C’est qu’Harry prenait très au sérieux l’ésotérisme, et ce au point de se faire ordonner dans l’ordre gnostique d’Aleister Crowley.
Il est donc probable que, dans l’esprit de Smith, tout ce Old-Time Music participe d’une vision quasi païenne et romantique avec ses thèmes plaintifs de vie agraire, de danse au fond des campagnes, d’hymnes religieux sévères au goût d’apocalypse, et de ballades acides sur fond de meurtres.
Archéologue musical depuis ses 15 ans en 1983 (ouais, ça sent Popoca la momie aztèque ici!), Eric traîne ses savates de sillon en sillons, du punk au classique, de l’industriel au jazz, du psychotronique au folk, et de la variété au world beat. Bien évidemment, ça fait beaucoup de bagages si on y ajoute toute de sorte de ragots, de rumeurs et de bavardages à moitié bien rapportés en live. Mais il aime tout cela le brave et donne de son sang et de son temps. On lui pardonnera donc sans confession !