Pour les 50 ans de Woodstock: Naissance et Mort du mouvement hippie de San Francisco (1965-1970)

Pour les 50 ans de Woodstock: Naissance et Mort du mouvement hippie de San Francisco (1965-1970)

Pourune introduction au mouvement psychédélique, aller à notre Panorama mondial de la musique psychédélique : « Everybody must get high ».

 

La scène psychédélique de New York est couverte dans le billet Musique psychédélique à la New Yorkaise : Bohémiens speednicks, jazzmen libres, compositeurs concrets, bruitisme et drone

 

Pour les 50 ans de Woodstock: Naissance et Mort du mouvement hippie de San Francisco (1965-1970)

Comment une ville aussi moribonde que San Francisco s’est-elle éveillée — socialement et musicalement — vers 1965 et donner naissance au rock psychédélique ? Et comment cette bourgade a-t-elle pu devenir La Mecque du mouvement hippie et jeter les germes Woodstock ?

Plusieurs éléments ont convergé afin d’allumer les guitares psychédéliques et les esprits des protohippies de cette banlieue culturelle qui, au cours de la première moitié de la décennie sixties, ne conjuguait que musique Surf et pâles ersatz du mouvement du renouveau folk de Greenwich Village (New York).

 

En plus de présenter les groupes, qui de l’avis de La Machine, sont les plus représentatifs de la scène de rock psychédélique de San Francisco, nous retiendrons trois facteurs de contexte afin de contextualiser la naissance au mouvement hippie dans la région (nous prenons très au sérieux notre volet pédagogique!) :

 

  • L’immigration Beat et le sentiment d’une nouvelle « Frontière »
  • Les « Acid Tests » et l’émergence d’une contre-culture tous azimuts
  • La mise en place d’un circuit de diffusion (Family Dog, Fillmore, KMPX) et idéologique (les Diggers)

 

Préambule : Avertissements sur les termes « Beatnik » et « Hippies »

Nommer, c’est créer une réalité.

 

Il est donc ironique de constater que, dans un cas comme dans l’autre, les mouvements Beats et hippies n’ont pas eu le luxe de se baptiser eux-mêmes. Ce sont les journalistes de l’« Establishment » qui ont apposé l’étiquette qui allait les désigner à l’époque et jusqu’à la fin des temps.

« Beatnik » est un terme inventé en avril 1958 par Herb Caen, chroniqueur au San Francisco Chronicle. De manière sarcastique ont ajoutait au «Beat» créé par Kerouac (qui définissait une génération paradoxalement « battue d’avance », mais « béate » dans le sens « béatifiée ») le « sputnik » (simplement parce que ça ne touche pas par terre, c’est «spaced»… et communiste).

 

Et « Hippies» ? En septembre 1965, un autre chroniqueur, Michael Fallon, publiait un article sur San Francisco intitulé « Bohemia’s New Haven » et inventa un nouveau terme, « hippie », pour les nouveaux beatniks du Haight-Ashbury. Le « Hip », c’est celui qui sait, qui a compris…

 

San Francisco : la nouvelle Frontière, creuset d’une nouvelle Amérique «Beat »

 

San Francisco, c’est à la fois l’esprit de tolérance de la Côte Ouest (« vivre et laisser vivre ») et la fin du rêve américain, l’ultime Frontière du Far-Ouest

 

L’imaginaire américain du XIXe siècle ne vivait que pour la Conquête de cette frontière de l’Ouest repoussée sans cesse. Avec elle, tout était à fonder, à créer et à rêver. On pouvait y trouver de l’or, y jeter les bases de communautés avec ses propres normes morales, vivre comme un Amérindien, se fondre dans la Nature et tout recommencer, se forger une nouvelle identité.

 

L’Ouest, le Far-Ouest, c’est la terre promise, la Jérusalem céleste. Là où est activée le promesse mythique de l’Amérique : devenir un nouvel Éden, un paradis sur Terre sous le Star and Stripes. Amen.

 

On ne s’étonnera donc pas que le climat, le coût de la vie abordable, et le côté «laidback» de San Francisco ait séduit les écrivains et poètes beatniks. Au cours des années 50, plusieurs d’entre eux y poseront leurs valises (du moins dans le North Beach district) : – Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Neal Cassady, Gregory Corso, Herbert Huncke et William S. Burroughs.

À ceux-ci se joindront les Gary Snyder, Lawrence Ferlinghetti (l’un des fondateurs de City Lights Bookstore), Michael McClure, Philip Whalen et Lew Welch. Depuis lors, la culture Beat est étroitement liée à la ville de San Francisco.

 

L’influence des Beats s’étendra jusqu’à Berkeley (et son université) avec d’autres poètes comme Jack Spicer, Robin Blaser, et Robert Duncan.

 

1964 : L’influence Beat se marie au désir de justice sociale

 

Cette « invasion » des Beats, dont certains membres font partie des meubles culturels que sont les universités et collèges, s’accompagne bien de la poussée de la gauche américaine vers une plus grande justice sociale.

 

Les deux causes fétiches des ‘nicks, soit les droits civiques (fin de la ségrégation raciale) et la liberté de parole, ramènera vers le mouvement beat plusieurs membres de la sous-culture folk et bohémienne de San Francisco.

 

L’année 1964 verra d’ailleurs d’importantes marches et manifestations – dont celle de l’hôtel Sheraton-Palace de San Francisco – en faveur des droits civiques. Celles-ci fourniront le ferment nécessaire à la création quelques mois plus tard, par Mario Savio, d’un mouvement « Free Speech » à l’université de Berkeley, futur foyer des rebelles des années 60 et 70, pour s’opposer à la répression policière.

Ce désir de liberté de parole se radicalisera en 1965 avec la fondation d’un mouvement qui s’étendra à la décennie suivante, la « Free University ». Issue d’une modeste « roulotte » stationnée au San Franciso State University, la Free University s’essaimera en douzaines d’établissements partout aux États-Unis au cours des années qui suivront.

 

La presse de la contre-culture s’incarnera également dans un premier temps au sein du journal étudiant de Berkeley, le Berkeley Barb (1965), puis de The Oracle (1965-1968), avant de se répande partout aux États-Unis et de se figer dans l’Underground Press Syndicate.

 

 

Acid Test : première salve de la révolution psychédélique

 

Goutte à goutte, la révolution LSD fera son chemin dès 1965 en Californie avant de se poser officiellement les 4 décembre 1965 et le 8 janvier 1996, sous la forme des « Acid Test » prônée par l’écrivain Ken Kesey, à San Francisco. L’art ne s’en relèvera pas. Et la musique non plus.

 

Le but avoué de ces rituels acides était la conversion des âmes à un mode de réflexion hyperréfléchissant et la libération des sens et des inhibitions pour le corps.

 

Ces événements anarchiques de « open bar » public de LSD présentaient en outre la musique d’un nouveau groupe appelé Grateful Dead et des jeux de lumière expérimentaux. Des fêtes similaires donneront la chance à d’autres groupes d’expérimenter l’ouverture des « Doors of Perception » (dixit Aldous Huxley sous peyotl) au cours des mois qui suivront : le Velvet Underground (sous l’initiative de Warhol avec le Exploding Plastic Inevitable) et les Mothers of Invention de Zappa (la série de concerts « Freak Out », qui n’a rien à voir avec l’album du même nom des Mothers, et qui inspirera probablement la sainte horreur du mouvement hippie à Zappa).

 

1965 : La musique psychédélique prend son envol au Red Dog… et avec les Dead

Côté musique, deux événements distincts commis par des membres de la même « tribu » en 1965 démarrent la sarabande psychédélique, les premiers concerts des Grateful Dead et la prise de contrôle du bar Red Dog Saloon par le groupe The Charlatans.

 

En ce qui concerne les Dead, rien à dire sinon leurs premiers concerts-marathons lors des Acid Tests où la bande de Garcia présenteront leur mixture unique de jazz-folk-roots-country.

 

En revanche, au cours de l’été 1965, un groupe de San Francisco, les Charlatans, et leurs fans prennent le contrôle du Red Dog Saloon à Virginia City (Nevada), et ont eu l’idée de jouer un nouveau genre de musique pour un nouveau public. Bien évidemment, ce sont paradoxalement des groupes de San Francisco qui y joueront et y peaufineront leurs sons.

 

Lors du premier concert « A Tribute to Dr. Strange » en octobre 1965, les Charlatans invitent le Jefferson Airplane et la Great Society. Deux autres concerts suivent rapidement et un troisième (en novembre) a lieu avec les Mothers of Invention. Le succès de ces festivals convaincra les entrepreneurs hippies de la faisabilité et de la rentabilité de la mise en place d’un circuit de diffusion à San Francisco et, conséquemment, provoquera une multiplication de groupes de musique dans ladite région.

 

En décembre 1965, un inconnu du nom de Bill Graham loue le Fillmore Auditorium, une salle de spectacles sur le retour, pour y présenter la San Francisco Mime Troupe. Quelques mois plus tard, il y présentera le Velvet Undeground avant de plonger plein rock.

 

Avantage financier oblige, Graham transformera le Fillmore en point focal de la musique psychédélique et de la contre-culture en général dès début 1966. The Grateful Dead, The Steve Miller Band, Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service, Moby Grape, The Doors, Jimi Hendrix Experience, The Byrds, Big Brother and the Holding Company, Santana, The Mothers of Invention de Frank Zappa et les groupes britanniques The Who, Cream et Pink Floyd se produiront tous sur place. En plus du rock, Graham présentera aussi comme Lenny Bruce, Miles Davis, Rahsaan Roland Kirk, Charles Lloyd, Aretha Franklin et Otis Redding, ainsi que des festivals de poésie. Les Grateful Dead y donneront 51 concerts au total de 1965 à 1969.

 

La même année verra l’ouverture du Avalon Ballroom. Cette fois, la salle est entièrement (et à son grand dam) gérée par la contre-culture.

La salle de spectacles rock est ainsi née… Et dans son sillon, des centaines de salles émergent à San Francisco et ailleurs aux États-Unis.

 

Premiers pas de Haight-Ashbury, capitale hippie grâce aux Diggers

En juillet 1966, les deux écrivains Peter Coyote (né Peter Cohon) et Peter Berg (l’homme qui a inventé l’expression « théâtre de guérilla » en 1963) quittent la San Franciso Mime Troupe pour fonder un nouveau groupe anarchiste d’improvisation, les Diggers.

 

Les Diggers deviennent de fil en aiguille bien plus qu’un groupe de théâtre d’avant-garde : ils deviennent la première commune hippie. Ce sont eux qui assumeront le rôle de compas moral du mouvement hippie de San Francisco.

 

Leur agenda transforme le quartier Haight-Ashbury en un « théâtre vivant » et donne aux hippies un programme politique et une croyance dogmatique dans la pauvreté et la non-violence. En 1967, ils lancent le Free Store et la Haight Ashbury Free Medical Clinic.

 

Même si la plupart des groupes de San Francisco professent (souvent du bout des lèvres) suivre le code des Diggers, ce sont les Grateful Dead qui prendront la chose la plus au sérieux.

 

666 : Quand l’interdiction du LSD crée les premiers festivals rock en plein air

 

En octobre 1966, l’État de Californie interdit le LSD.

 

Le journal underground The Oracle de San Francisco organise alors en juin un rassemblement au Golden Gate Park, le « Love Pageant Rally » le 6 du mois pour que la date soit « 666″ (06/6/66). Le rassemblement est complété par de la musique gratuite des Grateful Dead et Janis Joplin. De facto, on assistait dès lors au premier concert en plein air.

 

Le peintre Michael Bowen décide d’organiser alors une plus grande manifestation de protestation : le « Gathering of the Tribes », de nouveau au Golden Gate Park, mais cette fois en janvier 1967. Figurent à la liste des invités non-musiciens des poètes Beats comme Allen Ginsberg, qui y dirige un mantra « om » massif, Gary Snyder et Lawrence Ferlinghetti.  Alan Watts, auteur du premier best-seller sur le bouddhisme, « The Way of Zen » (1957) fait également bonne figure, tout comme des protestataires locaux comme Jerry Rubin (futur fondateur des Yippies). Timothy Leary, grand-prêtre du LSD,  s’y donne en spectacle pour la première fois à San Francisco et  hypnotise la foule avec sa célèbre devise « Turn on, tune in, drop out ».

 

1967 : Le rock psychédélique ouvre ses ailes et prend d’assaut le globe — du FM à Monterey

En succession rapide…

 

En mai 1967, le disc-jokey Tom Donahue lance son émission sur la station de radio FM KMPX : il consacre la majeure partie de son temps non pas au Top-40, mais à la musique underground, alternative, progressive, et typiquement à de longs morceaux de musique.

En juin 1967, John Phillips des Mamas & Papas et leur producteur Lou Adler organisent un MÉGA-festival, le Monterey International Pop Festival.

 

Les Diggers,  loin d’être en extase devant toute cette publicité qui dénature à leurs yeux le mouvement hippie organisent en octobre une marche funéraire « Death of the Hippies ».

 

Le rock psychédélique à la San Fran :  Quelques incontournables

 

La recette unique de Haight-Ashbury : l’« Acid Rock »

 

C’est à San Francisco que s’élabore la recette de ce qui deviendra l’ « Acid Rock ».

 

L’ingrédient principal de l’acid-rock est le jam qui, bien sûr, a déjà été pratiqué par des musiciens de jazz et de blues. Les musiciens d’acid-rock jamment cependant dans un contexte légèrement différent : ils mettent plus l’accent sur la mélodie, moins l’accent sur la performance virtuose. Le rôle principal est également confié à la guitare électrique.

 

D’un point de vue instrumental, l’acid-rock est encore un descendant du rhythm’n’blues, mais d’un point de vue vocal, il était un descendant de la musique folk et country. Thématiquement, on s’éloignera de plus en plus de la justice sociale de la sensibilité folk pour se replier dans la description de paysages subjectifs et intérieurs. De fait, les morceaux deviennent de plus en plus évocateurs et descriptifs, musicalement de plus en plus complexes… Et de plus en plus long.

 

Jefferson Airplane :  respect des lignes pop et image rebelle

Jefferson Airplane a non seulement incarné l’esprit et le son de l’époque hippie plus que quiconque, mais a également compté sur un formidable groupe de talents, qui a redéfini le chant (Grace Slick), l’harmonisation vocale (Paul Kantner, Marty Balin), la basse (Jack Casady), la guitare (Jorma Kaukonen) et la batterie (Spencer Dryden) en musique rock.

 

Leurs premiers simples, « Somebody To Love » et « White Rabbit », ont aidé à établir le rock psychédélique comme genre musical.

 

Chaque album de Jefferson Airplane était unique et représentait le baromètre idéologique de leur génération.

 

« Surrealistic Pillow » (1967) trace un manifeste de la génération hippie avec ses thèmes d’innocence et d’initiation psychédélique. Sur « After Bathing At Baxter’s » (1967), le groupe s’affranchit des conventions du format chanson et de l’arrangement pop tandis que «Crown Of Creation » (1968) regroupe un ensemble de ballades folk-pop-jazz-rock électrisées servies dans un mode assumé par le Jefferson qui assoie son style. Leur chef-d’œuvre « Volunteers » (1969) marque quant à lui un retour aux sources (tant musical que moral) suite à une désillusion perçue face au rêve hippie . Il adopte une position politique de ligne dure qui ressemble plus au « Up Against the Wall » qu’au « Peace and Love ».

 

Leur album live « Bless Its Pointy Little Head » (1969), une relique oubliée de 1969 suggère, également que Jefferson Airplane était en fait peut-être le groupe acide le plus percutant de Frisco, capable de produire un son brut et rauque que même les Grateful Dead et Quicksilver Messenger Silver, dans tous leur jamming, ne pouvaient égaler. Une dose de bruitisme et de punk qui rappelle à la fois MC5, « Raw Power », et même Sonic Youth.

 

Les collaborations Kantner et Slick abondent dans le sens des albums classiques de la formation et cadrent avec la désillusion annoncée à la fin 1969 alors que « Blows Against The Empire » (1970)  de Paul Kantner offrait un regard nostalgique sur les idéaux des communes et un hommage utopique à l’ère spatiale. « Sunfighter » (1971), crédité à Paul Kantner & Grace Slick, était un retour achevé et solennel au format de la chanson et à la nature (un concept « écologique »).

 

L’attrait de  Jefferson Airplane s’explique par le fait qu’ils vivaient entre deux mondes. D’une part ils participaient au monde de la musique pop, leurs racines folk et blues étant encore visibles, parce que la mélodie était encore le centre de masse. D’autre part, leur image et leurs positions les plaçaient au centre de la contre-culture.

 

Les Grateful Dead : le Roots refondu au creuset psychédélique

 

The Grateful Dead est considéré par plusieurs de leurs fans comme le plus grand groupe de rock de tous les temps.

 

Si l’affirmation vous choque, il demeure que les Deads font office de monolithe (au sens Kubrickien) et de monument du rock psychédélique.

 

Leur plus grande invention est le jam de groupe long et libre, l’équivalent rock de l’improvisation jazz.

 

Contrairement au jazz, où le jam visait à flatter l’égo des solistes, le jam de Grateful Dead est la bande-son des « trips » du LSD avec ses moments de déconstruction, de faux départs, et d’envolées lyriques.

 

Contrairement à l’image véhiculée par leurs innombrables t-shirts, et souvent par leurs fans dont le cerveau semble quelquefois achevé à la friture, les Grateful Dead étaient l’un des groupes des plus érudits, conscients des compositions atonales de l’avant-garde européenne ainsi que de l’improvisation modale du free-jazz et du rythme des autres cultures.

 

Ils ont réussi à transformer le feedback de la guitare et les signatures de temps impaires en mode d’expression. Les gammes ascendantes et descendantes infinies de Jerry Garcia sont uniques dans l’histoire du rock et, dans bien des cas, ne visaient pas à être fixées sur enregistrement à tout jamais, mais se transformaient à chaque concert.

 

D’ailleurs, les Grateful Dead n’ont jamais vendu beaucoup d’albums : leur format privilégié était le concert en direct. Le concert en direct évitait les lois du capitalisme, en supprimant le business plan du divertissement. Carrément en synchronisation avec l’éthique des Diggers, les captations en direct étaient offertes gratuitement aux fans, les Deads allant jusqu’à offrir un endroit près de la console aux fans pour la captation du concert du moment.

 

Leurs chefs-d’œuvre studios, « Anthem Of The Sun » (1968), « Aoxomoxoa » (1969) et la captation « Live Dead » (1969) sont de pâles approximations de leur art.  « Anthem Of The Sun » a été affiné en studio en utilisant toutes sortes d’effets et de techniques inspirées de Karlheinz Stockhausen, John Cage et Morton Subotnick.  Les influences blues, roots et le country des Dead s’y désintègrent et  se structure pour se recomposer selon l’inspiration du moment. La rythmique, la mélodie, les percussions s’effacent au profit d’un paysage sonore reproduisant le voyage psychédélique, du cauchemar au paroxysme extatique. Alors qu’« Aoxomoxoa » revient pour sa part au format traditionnel des chansons, « Live Dead », au contraire, revient à sa vraie dimension protéenne avec des titres comme « Feedback », un long « trip » monolithique de la guitare de Garcia, et « Dark Star », le jam des jams des Dead et le chant du cygne acid-rock.

 

Bien qu’ostracisés par l’establishment, les Grateful Dead exprimaient, mieux que tout autre musicien de l’époque, la quintessence de la nation américaine, et c’est peut-être précisément la raison pour laquelle leur musique résonnait si bien dans l’âme des jeunes Américains. Ce n’est donc pas un hasard si les Grateful Dead, avec les Byrds et Bob Dylan, ont mené le mouvement vers le country-rock, via « Workingman’s Dead »  (1970).

 

Les autres groupes de la scène de San Francisco

Les premiers groupes de San Francisco ont dû faire face à une industrie du disque qui les comprenait mal, les producteurs étaient payés spécifiquement pour « normaliser » la musique et la rendre le tout plus « beatlesque».

 

La diversité des styles du rock psychédélique de San Francisco rendait la chose encore plus complexe pour les étiquettes de disques. En fait, la seule chose qui n’était pas autorisée était de reproduire le son de quelqu’un d’autre. L’originalité était obligatoire, alors que le talent était facultatif.

 

Voici quelques groupes marquants de la scène, certains bien connus, d’autres moins.

 

Big Brother and the Holding Co.

Big Brother and the Holding Company sont surtout connus comme étant le groupe dont la chanteuse principale était Janis Joplin. Big Brother était à l’origine le groupe-maison de l’Avalon Ballroom. Ils y jouaient un style progressif de rock instrumental.

 

Blue Cheer

Blue Cheer jouait du blues-rock bien distorsion avec agressivité : Vincebus Eruptum (1968) introduit un son de tempête grondante (guitare assourdissante et amplification maximale des graves), qui remet en question toute l’idéologie « hippie » et précède le stoner-rock de 25 ans.

 

The Charlatans

Les Charlatans ont été l’un des tout premiers groupes de rock psychédélique à émerger du quartier Haight-Ashbury. Ils ont eu une influence significative sur ceux qui ont suivi, bien qu’autant en raison de leurs tenues et comportements non conventionnels que de leur musique, qui tendait plutôt vers le jug band blues. Leur premier album éponyme ne sort qu’en 1969, alors qu’ils sont sur le point de se dissoudre. The Charlatans a été réédité sur CD en 1996.

 

Chocolate Watchband

Le nom seul valait à lui seul une certaine notoriété parmi l’ensemble psychédélique. Musicalement, cependant, Chocolate Watchband penche beaucoup plus vers le punk rock que vers le psych rock. Leur manager a estimé qu’il valait mieux profiter de l’engouement pour Flower Power, avec pour résultat que leurs enregistrements (qui ont été fortement post-produits pour imiter un son psychédélique) ne ressemblaient guère à ce que le groupe avait l’habitude de faire en concert.

 

Les conflits constants avec la direction et le roulement fréquent du personnel ont mis fin relativement rapidement au groupe. En 2005, le coffret de deux disques, « Melts In Your Brain… Not On Your Wrist : The Complete Recordings 1965 to 1967 » ont rassemblé toutes les œuvres enregistrées par le groupe en un seul coffret.

 

Count Five

Leur notoriété ne repose que sur une simple, « Psychotic Reaction ».

 

Après que ce 45 ait atteint le 5ème rang du palmarès des simples Billboard, Count Five s’est empressé de poursuivre avec un album qui a coulé colossalement. Les membres du groupe ayant l’intention de rester à l’université pour éviter le Vietnam, le groupe n’a pas fait preuve de la motivation et consacré le temps nécessaire pour continuer à être un groupe sérieux.

Dan Hicks and His Hot Licks

Dan Hicks a été membre du premier groupe de psychrock de la Bay Area, The Charlatans, avant de partir pour former Dan Hicks and His Hot Licks en 1968.

Le son de son propre groupe était basé sur la musique folklorique, mais incorporait aussi des éléments de jazz et de country. En 1973, « Last Train To Hicksville »,  le quatrième album du groupe, mais c’est celui qui leur a finalement valu une reconnaissance bien au-delà de San Francisco.

 

Hicks a finalement opté pour une carrière solo et en développant un groupe de fans pour son style de musique souvent excentrique.

 

Country Joe McDonald and the Fish

Contrairement à Jefferson Airplane, qui est à son meilleur au sein de structures conventionnelles, et aux Grateful Dead, qui ont pris un certain temps à transposer leur musique en studio d’enregistrement, Country Joe & the Fish livre une musique psychédélique entièrement achevée sur ses deux premiers albums, sans compromis, et pourtant totalement accessible — en fait, souvent avec un esprit facétieux. De pièces bon enfant à délire apocalyptique, CJMF embrasse toutes les facettes de sa musique surprenantes dans sa diversité, mais mettant de l’avant des envolées à la guitare et au clavier.

Electric Flag

Electric Flag a fait ses débuts avec « Trip » (1967), un mélange bizarre d’électronique, de bruit, de psychédélisme, de country, de ragtime et de blues.

 

Family Tree

Family Tree a été formé à partir des membres de deux groupes de garage de la région de Bay Area, Ratz et The Brogues. Leur deuxième album, « Miss Butters » (1968), montre l’influence de Harry Nilsson, qui avait pris le groupe sous son aile. Leur album concept a été porté aux nues par certains, critiqué par d’autres qui trouvaient qu’il ressemblait trop au « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band ».

 

Fifty Foot Hose

À l’autre bout du spectre, Fifty Foot Hose, l’un des groupes les plus expérimentaux du San Fran des années 1960. Il a été l’un des premiers à utiliser l’électronique et à faire le pont entre la musique rock et l’avant-garde. Son « Cauldron » ( 1967), défie l’atmosphère pépère du rock acide avec un son cacophonique et chaotique accompagné de jams apocalyptiques.

 

Frumious Bandersnatch

Si l’on considère ses membres, Frumious Bandersnatch (le nom vient d’une créature du poème de Lewis Carroll, « Jabberwocky ») aurait dû durer plus longtemps et enregistrer davantage. Au cours de sa brève existence (1967-1969), le groupe ne sort qu’un EP de trois titres, sur son propre label. Le groupe a compté parmi ses membres Russ Valory et George Tickner, qui sont devenus membres fondateurs de Journey, et pas moins de quatre futurs membres du Steve Miller Band — Valory, David Denny, Jack King et Bobby Winkelman. Assez de morceaux de Frumious ont été retrouvés pour compiler «A Young Man’s Song » en 1996.

 

It’s A Beautiful Day

Après avoir joué avec Jerry Garcia, Janis Joplin et d’autres, le violoniste rock David LaFlamme a fondé It’s A Beautiful Day en 1967. Le premier album éponyme du groupe, sorti en 1969, mettait en vedette ce qui se rapprochait le plus d’un succès populaire, « White Bird ». Quelques albums plus tard, LaFlamme retourne travailler avec d’autres groupes.

 

Kaleidoscope

Kaleidoscope figure parmi les groupes les plus audacieux du lot avec une fusion de la musique country, jazz, cajun, moyen-orientale, indienne, flamenco, gitane et sud-américaine proposée sur « Side Trips » (1967) et « A Beacon From Mars » (1968), avec l’une des plus belles pièces raga-rock jamais gravée (« Taxim »).

 

The Loading Zone

La musique de The Loading Zone était un curieux mélange de R&B, de jazz, de blues et de rock psychédélique. Cela en a fait une première partie idéale pour des artistes comme Cream et Janis Joplin. Malheureusement, l’attrait de leurs prestations en direct ne s’est pas répercuté sur leur premier (et dernier) album éponyme, et ils se sont dissous après à peine trois ans (1967-70.) Le fondateur du groupe, Paul Fauerso (voix, claviers) a ensuite produit l’album des Beach Boys intitulé « First Love ». La chanteuse principale Linda Tillery a poursuivi une carrière solo couronnée d’un certain succès.

 

Mad River

Au milieu d’un étrange assortiment de groupes, aucun n’était plus étrange que Mad River. Ils étaient un peu sombres, un peu frénétiques, voire un peu country. Les fans de psychédéliques les adoraient. Ils ont sorti deux albums, « Mad River » en 1968 et « Paradise Bar & Grill » en 1969.

 

Mojo Men

Les Mojo Men (dont l’un, le batteur Jan Errico, était une femme) n’ont eu qu’un seul tube national, une reprise de « Sit Down, I Think I Love You » de Stephen Stills en 1967. Un tube local, « Dance With Me » a été produit par Sly Stone. Bien qu’ils n’aient jamais réussi à percer le marché national, leurs enregistrements offrent un échantillon représentatif des différents styles incarnés dans le San Francisco Sound.

 

Mystery Trend

Ironiquement, The Mystery Trend ne voulait rien avoir à faire avec la musique psychédélique que d’autres groupes de Bay Area jouaient au milieu des années 60.

 

Là où d’autres improvisent, jamment et expérimentent, la musique de Mystery Trend est étroitement structurée. En fait, le groupe a commencé comme un groupe de danse R&B. Néanmoins, la formation s’est souvent produite avec des groupes psych-rock comme The Charlatans et The Great Society. Tous leurs enregistrements, y compris quelques démos enregistrées chez des membres du groupe, sont sortis en 1999 sur l’album « So Glad I Found You ».

 

Oxford Circle

Comme beaucoup de groupes de psych-rock rock du milieu des années 60 de la région de Bay Area, Oxford Circle était très populaire sur le circuit des clubs locaux, mais n’a pas réussi à obtenir un contrat de disque. Leur son était plutôt punk et orienté blues. L’auteur-compositeur principal, Gary Lee Yoder, se produit ensuite avec les groupes de San Francisco Kak et Blue Cheer (plus connu). Oxford Circle n’a originalement sorti qu’un seul, suivi par une captation d’un spectacle à l’Avalon Ballroom, sortie en 1997.

 

Moby Grape

Tout un livre pourrait être écrit sur la suffisance et la déchéance de ce qui devait être le « Led Zeppelin » américain. Moby Grape incarne l’esprit décontracté et magique de jams acides du groupe sur « Grape Jam » (1968.  L’album solo « Oar » (déc 1968 – mai 1969) de Alexander Spence constitue presque le journal d’une âme tourmentée en pleine dérive syd barrett-ienne.

 

Quicksilver

Quicksilver, l’un des plus grands groupes de jam de la scène acid-rock, a fait le pont entre l’acid-rock de San Francisco, le son garage du nord-ouest et le rythme et le blues de Chicago, en particulier sur « Happy Trails » (1969), dont les morceaux plus longs sont des cavalcades pan-stylistiques audacieuses qui prennent comme point de départ le blues, mais qui tournent rapidement vers le lysergisme.

 

Seatrain

Seatrain était à l’origine basé à New York (et s’appelait à l’origine Blues Project), mais a migré vers SF. Comme Grateful Dead, leur musique était fortement teintée d’éléments folk, rock, bluegrass et blues. Contrairement à la plupart des groupes de SF de l’époque, Seatrain a sorti quatre albums entre 1968 et 1973. Deux d’entre eux, « Seatrain » et « Marblehead Messenger » (produit par le producteur des Beatles, George Martin) sont sortis en un seul cd combiné en 1999.

 

Sons of Champlin

Sons of Champlin détiennent peut-être le record de longévité et de discographie parmi les groupes de la Bay Area des années 60. Ils ont sorti sept albums entre 1969 et 1977. Ils se sont réunis en 1997 et ont sorti un album live et deux nouveaux albums studio depuis lors. L’un des traits distinctifs du groupe était l’utilisation des cors, ce qui était quelque peu unique à l’époque. Il n’est donc pas surprenant que le fondateur Bill Champlin ait poursuivi sa carrière à Chicago. « Fat City », enregistré en 1966 et 1967, n’est sorti qu’en 1999.

Sopwith Camel

Sopwith Camel est le premier des groupes des années de San Francisco à avoir remporté un succès national dans le Top 40 avec « Hello, Hello, Hello ». Leur son était loin d’être psychédélique, tendant plutôt vers le folk-rock léger. Le premier album éponyme du groupe sort en 1967. Ils lancent la serviette la même année lorsqu’ils ne parviennent pas à reproduire le succès du simple. Réformés en 1971, ils lancent un nouvel album avant de se séparer à nouveau en 1974.

 

Syndicate Of Sound

Leur single de 1966, « Little Girl », est le seul single du Syndicate of Sound à obtenir une position sur le palmarès national. Ils ont par la suite sorti un album enregistré « sur le pouce » et ont fait une tournée nationale avec des groupes comme les Rolling Stones et les Yardbirds. Trois singles infructueux et une note de démission donnée par le batteur du groupe plus tard ont mené à la dissolution du Syndicate en 1970. Le son du groupe est généralement considéré comme ayant eu une influence majeure sur ce qui est devenu le rock psychédélique de San Francisco.

 

 

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