« Ragged but Right… » par Lynn Abbott et Doug Seroff (2012)
Ragged but Right: Black Traveling Shows, “Coon Songs,” and the Dark Pathway to Blues and Jazz (American Made Music Series) par Lynn Abbott et Doug Seroff (2012)
Pendant plusieurs décennies (en fait, de 1880 jusqu’à la fin des années 10), une forme très particulière de spectacle de ménestrel afro-américain a été la forme la plus populaire de divertissement pour le public noir du Sud des États-Unis. Cette forme hybride de Vaudeville s’est ensuite imposée partout au pays peu avant l’émergence de l’industrie musicale sous l’impulsion du ragtime et de son pendant chanté, le « coon song ».
L’impact de cette forme d’art (qui était présente dans certaines régions des États-Unis jusqu’à la fin des années 1940) se trouve toujours présent sur ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de blues, jazz, soul ou hip-hop.
Les chercheurs Lynn Abbott et Doug Seroff, sommités de l’histoire de la musique populaire noire américaine préjazz, nous proposent dans « Ragged but Right » un tour d’horizon du divertissement noir (et blanc) des années 1880 jusque vers les années 20 à travers un examen minutieux de la presse afro-américaine de l’époque.
Les deux auteurs ont déjà collaboré en 2009 lorsqu’ils ont présenté « Out of Sight: The Rise of African American Popular Music, 1889–1895 ». Abbott est affiliée à l’Université de Tulane (au Hogan Jazz Archive pour être plus précis) alors que Doug Seroff est un chercheur indépendant du Tennessee.
Le « Blackface » et le « Coon Song » comme transition obligatoire vers l’acceptation du blues
En menant leurs recherches pendant de nombreuses années, l’équipe a trouvé de nombreuses preuves à l’appui de l’une de leurs principales conclusions : que les chansons commerciales dites « coon » (un terme raciste pour les premières formes de folklore noir et de blues interprétées par des chanteurs blancs en mode « Blackface » ou, comme ce terme était utilisé plus fréquemment, pour les prestations d’artistes d’origine africaine américaine) se sont répandues dans la culture noire du début du siècle où elles semblent avoir servi une fonction de transition.
Cet échange dans les deux sens entre la musique folk et populaire (dans le sens non professionnel) et la scène professionnelle noire (dans les « travelling shows » et le Vaudeville, mais également par le « blackface »), intensifiée par la popularité des chansons de ragtime de type « coon », a ouvert la voie au blues des années 20 et, conséquemment, au jazz.
Le Ragtime: de curiosité raciste à courant fondateur de la pop américaine
Néanmoins, l’expression « coon », en relation avec les variations de ces formes anciennes de ragtime, de blues, mais aussi de sketchs comiques ainsi que de routines de danse et d’une catégorie de spectacles musicaux, était autrefois une sorte de marque de commerce qui servait à attirer le public aux spectacles sous tente, au théâtre et dans les spectacles parallèles de cirque (sous la tente des « monstres de foire » et des curiosités dans bien des cas).
Pour la majorité des acheteurs de musique en partitions et des visiteurs du spectacle sous la tente, les « coon songs » et le ragtime représentaient la même et singulière réalité.
Le « Coon Song »: moteur économique et forme obligatoire du divertissement noir
Une fois l’industrie du divertissement de type ménestrel et du spectacle sous tente reprise avec succès par les artistes noirs, cette nouvelle génération d’artistes allait jeter les bases de la musique populaire moderne, à commencer par le ragtime, le blues et les premières formes du jazz.
Des centaines de musiciens, danseurs, écrivains, arrangeurs, chefs d’orchestre, chefs d’orchestre et sidemen ont ainsi trouvé un emploi. Des emplois qui n’existaient tout simplement pas avant cette évolution.
Néanmoins, ce fut un dur labeur pour ceux qui ont enduré, car ces artistes noirs ont dû faire face à des pratiques commerciales d’exploitation et à des critiques journalistiques biaisées dans le monde du divertissement du Nord, ainsi qu’à un antagonisme racial violent et aux interdictions de Jim Crow dans le Sud.
Contraintes racistes de format comme conditions nécessaires au blues et au jazz
La capacité à improviser, à trouver des variations, des motifs et un style individuel à l’intérieur de ces contraintes — comme en témoigne la nature même du blues et du jazz — pourrait trouver son origine dans ces conditions initiales.
L’analyse minutieuse de presque toutes les éditions de l’Indianapolis Freeman et du puissant Chicago Defender, journaux lus principalement par des lecteurs noirs et faisant en outre référence à des journaux spécialisés tels que Variety et Billboard, a permis aux deux chercheurs de recueillir une énorme quantité d’informations.
En se référant à toutes sortes d’informations comme les publicités d’époque, les critiques d’artistes, l’annonce des tournées futures, la célébration des succès commerciaux, Abbott et Seroff mettent en lumière la capacité d’innovation des nombreux spectacles itinérants de comédie musicale, des ménestrels sous tente, et des troupes annexes de cirques.
Naturellement, de nombreuses critiques et commentaires visent directement les superstars du genre comme George Walker, Bert Williams et surtout Ernest Hogan, auteur du succès de 1896 « All coons look alike to me ».
Archéologue musical depuis ses 15 ans en 1983 (ouais, ça sent Popoca la momie aztèque ici!), Eric traîne ses savates de sillon en sillons, du punk au classique, de l’industriel au jazz, du psychotronique au folk, et de la variété au world beat. Bien évidemment, ça fait beaucoup de bagages si on y ajoute toute de sorte de ragots, de rumeurs et de bavardages à moitié bien rapportés en live. Mais il aime tout cela le brave et donne de son sang et de son temps. On lui pardonnera donc sans confession !